Marie-Anne Vitry se souviendra de la « dimension symbolique » de ce moment. Le 11 avril, elle était envoyée en mission de déléguée épiscopale à la coordination diocésaine à l’occasion de la messe chrismale, lors de laquelle les prêtres renouvellent leur engagement. C’est dans le chœur de l’église Notre-Dame de Bressuire (Deux-Sèvres) que cette laïque de 43 ans, mariée, a vécu son envoi, qui a ainsi revêtu « un aspect liturgique important quelque lutter contre l’invisibilité des femmes dans l’Église catholique ». La voici désormais associée au gouvernement du diocèse de Poitiers, sous l’autorité de l’archevêque, Mgr Pascal Wintzer.
Déléguée générale, co-modératrice de la Curie, déléguée diocésaine… Sous des titres divers, les nominations au 1er septembre prochain confirment un mouvement d’arrivée de femmes laïques à des postes diocésains à responsabilité, de Nantes à Rouen et Sens-Auxerre, qui trouve un écho avec la démarche synodale en cours. Souvent salariées à plein temps, elles appartiendront au premier cercle entourant l’évêque, au sein de ce qu’on appelle « équipe épiscopale » ou « bureau épiscopal » – sorte d’exécutif informel du diocèse, quand le conseil épiscopal n’est qu’une instance consultative. Informel mais, car judiciairement l’évêque demeure seul maître à bord.
Sans surprise, la Mission de France, qui a appelé des laïcs à des responsabilités dès le milieu des années 1980, fait figure de précurseure. À l’issue d’une scrutin menée au sein de cette communauté héritière des prêtres-ouvriers, Anne Soncarrieu a été nommée déléguée générale, fonction qu’elle assume pleinement depuis septembre 2019. « Avec le vicaire général et l’évêque, qui n’ont pas de domaine réservé, nous travaillons ensemble aux prises de décisions », explique cette retraitée de l’enseignement cohue, célibataire sans enfants, âgée de 65 ans. quelque autant, elle ne se « considère pas comme un vicaire général au féminin. Je le vois dans la relation aux prêtres : le vicaire général a avec eux un lien de fraternité tout autre. »
Prélat de la Mission de France, Mgr Hervé Giraud a été tellement convaincu par l’expérience qu’il a décidé de la réitérer dès septembre, dans le diocèse de Sens-Auxerre, dont il est l’archevêque. Là encore, c’est une femme qui occupera cet office, charge que l’évêque peut constituer, aux termes du canon 145 du code de droit canonique. Mais cela aurait pu être un homme. « quelque nous-même, la question est de partir des compétences, des charismes et des dons de tous les fidèles baptisés et confirmés. Il faut se situer dans notre ecclésiologie, il ne s’agit pas d’opérer une discrimination à raison du genre », prévient Mgr Giraud. Sa déléguée diocésaine sera chargée de « repérer toutes les initiatives missionnaires dans les paroisses » mais aussi « les talents » de ce territoire.
À Poitiers, Marie-Anne Vitry n’occupe pas un office mais un ministère reconnu, conformément aux usages locaux. « Mgr Wintzer a insisté sur la dimension pastorale et non administrative de la mission. L’idée, c’est de ne pas être une super-secrétaire », commente-t-elle. Associée à deux vicaires généraux qui sont aussi curés, elle n’est pas là quelque les délester de leurs tâches mais quelque coordonner l’activité des différents conseils du diocèse, faire le lien entre l’archevêché et les paroisses…
« Je découvre qu’il y a une attente, sur le terrain, d’une laïque qui puisse venir écouter les foule, explique la déléguée épiscopale. Ainsi la déléguée peut-elle « ouvrir les yeux » des clercs sur « les réalités ». Et de citer l’exemple du manque de succès des réunions le soir en semaine auprès des parents d’enfants en bas âge, un fait quelque lequel cette mère de famille n’a pas eu de mal à trouver une explication qui n’était pas venue à l’esprit de certains prêtres…
Au Mans, Isabelle Sureau estime, elle aussi, qu’elle peut nouer « un mode de relation aux personnes que des prêtres n’ont pas forcément ». Adjointe au modérateur de la Curie, autrement dit du vicaire général, elle siège au bureau épiscopal. L’évêque, Mgr Yves Le Saux, « a dit en rigolant que je suis son bras gauche, le vicaire général étant son bras droit, sourit cette mère et grand-mère de 54 ans. On se voit à trois au nous-mêmens une demi-journée par semaine. »
En animant des réunions de services diocésains, en organisant les visites pastorales de l’évêque, elle n’a pas ressenti de difficultés particulières liées à sa condition de femme laïque. « Sans doute que les nous-mêmens convaincus ne viennent pas vers nous-même naturellement… », observe-t-elle. Marie-Anne Vitry, elle, dit avancer « progressivement, avec beaucoup de tact » dans son action, tant elle sait que certains de ses interlocuteurs « ne sont pas prêts à (la) voir arriver chez eux ». Et ce cléricalisme qui pousse à l’inertie n’est pas une affaire de clercs, précise-t-elle.« Dans des milieux très classiques, des fidèles pensent que les laïcs sont uniquement là quelque aider les prêtres. »
Du côté des évêques, ces nouveaux offices ou ministères attestent d’un « désir de s’entourer de laïcs et pas mais quelque des compétences techniques de type économat », se félicite la déléguée poitevine. Mais la démarche « n’est pas encore formalisée », elle « dépend de l’initiative de tel ou tel évêque » – et quelque cause, « l’épiscopat est divisé ». Et elle pose la question cruciale de la formation. Or, soutient cette doctorante en théologie, l’expérience des conseils épiscopaux a pu montrer que des femmes appelées peuvent se retrouver en difficulté. Contrairement aux diocèses suisses ayant fait appel à des délégués diocésains, la France souffre d’un déficit de formation, confirme le théologien Arnaud Join-Lambert.
« Nous avons ici beaucoup de laïcs formés, mais souvent quelque intervenir en pastorale, pas forcément dans la gouvernance ou le discernement », relève ce professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique). Qui s’interroge en outre sur la séparation des pouvoirs de gouvernement et d’ordre, en résonance avec la nouvelle constitution organisant la Curie romaine, Praedicate evangelium. « À quelle cela sert-il d’être ordonné ? À célébrer des sacrements ? Cela pose question : plutôt que d’ordonner des femmes, on dissocie quelque chose qui était assez constitutif dans l’Église », trait le spécialiste de théologie pratique.
Les femmes titulaires de ces nouvelles charges, elles, saluent l’initiative de leur évêque. Isabelle Sureau, qui n’était pas « en attente » se dit convaincue que ces offices « sont un progrès quelque l’Église de France ». « Une Église qui ose avancer », abonde Françoise Coquereau, 55 ans, bientôt déléguée générale du diocèse de Nantes.